Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Salon Marocain
3 décembre 2005

SALON MAROCAIN

Exceptionnel, le quotidien d’une prison

Salon Nancy Ajram à Aïn Ali Moumen
Résumé

Après l’angoisse de la première prise de contact avec le monde carcéral et la nuit qui n’en finissait pas (www.leconomiste.com), c’est au tour de la visite chez le coiffeur. Il faut se préparer aux premières visites familiales. Une “épreuve” que tout détenu attend avec impatience. Certains, cependant, appréhendent ce jour et le font savoir à leur famille.



· La coupe au rasoir à 10 DH, le rasage à 5


· Les lames circulent “librement”


Après un sommeil très agité, le réveil au troisième jour de détention devient difficile. On sent que le programme de la journée n’allait en rien ressembler à ceux des deux premiers jours. Aujourd’hui, c’est un événement pour moi. J’allais recevoir la visite de ma famille. Et bien évidemment, il était hors de question qu’on me trouve dans l’état où j’étais: barbe de quatre jours, habits froissés… Une visite chez le coiffeur s’imposait. A l’étage des “étudiants”, il y a deux “salons” de coiffure. Ils sont tenus par des détenus qui purgent d’assez longues peines. En fait, il s’agit de cellules comme les autres mais qui ont été aménagées de telle manière qu’elles ressemblent un tant soit peu à des salons de coiffure. Le “propriétaire” de l’un des salons nargue son “concurrent” et prétend tenir un salon hors pair. Le luxe, quoi, dit-il. A telle enseigne, affirme-t-il, qu’il pourrait y recevoir Nancy Ajram pour un brushing. Depuis, les prisonniers désignent son salon du nom de la pulpeuse chanteuse libanaise, Nancy Ajram.
Il y avait du monde et il fallait attendre son tour. Certes, les visites ont lieu tous les jours, mais aujourd’hui, on sent qu’il y a quelque chose de particulier, me lance un codétenu. A quoi reconnaît-il cela? C’est la fréquence et le nombre de personnes qui se pressent aux deux salons. On allait apprendre plus tard que le bruit avait circulé sur l’éventualité d’une visite-surprise de SM le Roi Mohammed VI. Cela explique largement aussi la frénésie qui s’était emparée des gardiens et des employés du pénitencier. Tout était devenu propre en quelques heures.
Mon tour arrive. Je m’installe sur la chaise en plastique que me présente le coiffeur. Nous nous connaissons déjà. Dès mon arrivée le premier jour, il m’avait salué sans me souhaiter la bienvenue, cela se comprend, bien sûr. Mis à part le fait qu’il soit exigu, le “salon” est semblable à ceux que l’on trouve dans les quartiers populaires. Serviettes et outils sont d’une propreté impeccable. On ne peut s’empêcher d’en féliciter le patron. “Je tiens à la propreté de mon matériel. C’est mon gagne-pain dans cette taule. Mes parents ne peuvent pas supporter tous mes frais. Je leur coûte déjà assez cher comme cela”, dit K. Coiffeur de métier, l’administration du pénitencier l’a autorisé à “s’installer” dans cette cellule et à l’aménager en salon. La coupe de cheveux au rasoir est à 10 DH. Le rasage avec “tour d’oreille” est à 5.
Les lames de rasoir que l’on trouve un peu partout ne sont utilisées qu’une fois et sur la même personne. “Pas question de raser plus d’un détenu avec une seule lame”, dit K., non sans fierté. On tend le cou et les premiers effets du blaireau commencent à se sentir sur le visage. Cela ressemble à un massage rendu encore plus agréable par les effets produits par la crème à raser au menthol. Ce n’est certes pas la première fois que l’on fait glisser un blaireau sur notre visage, mais dans ces lieux et en ce moment, c’est un véritable luxe que l’on a du plaisir à s’offrir et à savourer.
Quand le coiffeur commence à faire glisser la lame de son rasoir le long des joues et du cou, un frisson incompréhensible nous parcourt le dos. Une peur injustifiée et sournoise s’empare de nous, faisant couler sur notre échine une sueur froide dont on aura, après, beaucoup de mal à se débarrasser. Il commence à poser quelques questions auxquelles il faut avoir la courtoisie de répondre. Sinon, qui sait, une lame pourrait facilement ouvrir une artère. Comme ça, par accident… La conversation s’engage. On ne se fait pas de confidences parce que personne n’a rien à cacher, mais on discute plutôt des circonstances qui ont conduit chacun de nous dans ce pénitencier. Le coiffeur, lui, a tué de sang-froid pour venger son père qui a été dépouillé de son argent et passé à tabac par un malfrat, truand à la petite semaine. Il purge une peine de 20 ans. Sa famille vient de Marrakech une fois par mois pour lui rendre visite. Le “salon” l’aide à se faire de l’argent qu’il envoie à sa mère restée sans ressources depuis qu’il a été incarcéré.
Un prisonnier fait brusquement irruption dans cette discussion et commence à se plaindre des conditions de sa détention. “Moi, personne ne vient me voir. Ma famille est loin, très loin”, dit-il. En effet, les siens sont établis à Laâyoune. Son accent traduit ses origines sahraouies. Il est condamné à 15 ans de prison ferme pour meurtre avec préméditation, vol, recel et détérioration de bien d’autrui. “C’est ma femme qui a été la cause de tout ce qui m’est arrivé”, ne cesse-t-il de répéter. Apparemment, il l’avait prise en flagrant délit d’adultère. Alors, il tue l’amant et épargne la femme.
“Oustad, on vous demande à la visite”, vient m’annoncer un détenu commis. Heureusement, le coiffeur venait de terminer. Je me dépêche vers la cour réservée à la visite. Quelques bancs et des chaises en plastique blanc. Seuls les prisonniers qui reçoivent une visite y ont, en principe, accès. Dans la réalité, c’est une sorte de couloir d’échange où les “barons” viennent jauger les arrivages de nourriture et d’autres biens. Ils prennent le pouls pour la suite des affaires, leurs affaires. On raconte que certains prisonniers cèdent pour le prix d’un paquet de cigarettes, de deux ou trois joints et quelques psychotropes le contenu d’un grand panier (viande, légumes, fruits, thé, café, sucre…). Le prix que paie la famille pour le contenu du panier se situe généralement entre 150 et 200 DH. Il est cédé pour moins de 50 DH par son destinataire.

Jamal Eddine HERRADI

Dans une prochaine édition
Droit de visite

SALON MAROCAIN

Publicité
Publicité
Commentaires
Salon Marocain
Publicité
Publicité